Marquise, le retour à la route.

[prosperjunior]

Bonjour,

En 1980, j'ai cassé ma tirelire pour me faire faire un cadre sur-mesures par les Ateliers de Maison Rouge (Yonne), qui tenaient aussi boutique à Neuilly à deux pas de la Porte Maillot.
Tubes Camus 779; roues de 650b, cadre haubanné comme un tandem, freins à tasseaux. A part jeux de pédalier et de direction, je m'étais réservé le montage pour tout choisir jusqu'au moindre boulon et investir mes fonds de tiroir dans des pièces de qualité plutôt que dans de la main d'oeuvre, fût-elle hautement qualifiée.
Cette bicyclette a été ma première vraie randonneuse et j'ai bouclé quelques années à 10.000 bornes avec, à grand coup de balades diverses, brevets de grande distance, cyclocamping, grandes virées de plusieurs jours et un tour de Scandinavie et de Grande-Bretagne au retour duquel sa fourche a été bien amochée .

Et puis 28 ans après, je me suis décidé à refaire faire une fourche (en Reynolds) par les cycles Pierre Perrin à Egly (91), qui ont également complété quelques brasures et refait une beauté à la belle. A part les pièces usées et un moderne feu rouge à led, je l'ai remontée quasiment comme la première fois, et pour son retour à la route je lui ai offert une petite rando itinérante de quelques jours : Etampes (Essonne) -> Darvoy (Loiret) -> Lapan (Cher) -> Measnes (Creuse) -> Chatillon-sur-Cher (Loir et Cher), soit 400 bornes tranquiloutes.
Après une semaine de vélotaf avec pour déverminer la bête, j'ai donc pour la première fois depuis longtemps, bouclé mes sacoches et enfourché ma monture, et... roule Marquise : en quelques épisodes, je vous livrerai (histoire de faire envie à ceux qui ont des fourmis dans les mollets) les impressions de cette escapade printanière...

à suivre...

[ian]

Un beau réveil!

[prosperjunior]

Merci, Ian

Donc ce lundi de Pâques, j'ai enfourché tranquillement ma monture pour mettre le cap au sud. Ciel gris mais pas trop de vent, température raisonnable : des conditions idéales pour remonter la vallée de la Chalouette, regrimper sur le plateau (la Beauce n'est pas plate partout) et rejoindre Méréville, en pleine effervescence pour la Foire au Cresson. J'en profite d'ailleurs pour longer les cressonnières jusqu'à Autruy-sur-Juine :

et c'est à nouveau le plateau de Beauce jusquà Chilleurs-aux-Bois où je déballe mon pique-nique dans un parc. Un petit café au bistrot et c'est ensuite la traversée de la forêt d'Orléans par les chemins forestiers où j'apprécie le confort de mes 650b Wolber tandem.

Peu avant Fay-aux-Loges, je fais un petit arrêt le long du canal d'Orléans

Franchissant la Loire à Jargeau pour rejoindre Darvoy en milieu d'après-midi, je retrouve un ami chez qui je ferai étape après ces 85 kms d'agréable remise en route.

Fin du premier jour...

[Fortuna]

Voilá un réci qui s'annonce tres bien avec en plus de belles photos

[Stéphane]

Génial, bravo Jean-François ! Tout cela donne plus qu'envie ! Bien que, avec la pluie qui tombe ce 1er mai...

[prosperjunior]

Deuxième jour :

Le départ, vers 9h, a lieu sous un léger vent de trois quart (face, bien sûr ). Il ne fait pas bien chaud mais un consciencieux moulinage fait monter le diesel en température... Cette route ne m'est pas inconnue, mais c'est la première fois que je remarque que la frontière naturelle entre val (de Loire) et Sologne est si sensible : magie de la bicyclette qui donne à ressentir et à voir plus qu'aucun autre moyen de locomotion.
La forêt Solognote procure un abri relatif et la traversée de cette longue succession de faux plats se fait de façon tout à fait agréable, d'autant que la circulation est rare. Les petits bourgs traversés permettent de se ravitailler en soutenant l'économie locale.
Je croise un autre canal, cette fois-ci, c'est le canal de la Sauldre :

Je pique-nique en forêt dans un site qui n'est pas sans rappeler celui de notre pique-nique de la "René André", sauf que seuls les oiseaux me tiennent compagnie.
En sortant de la forêt vers Nançay, où les antennes du centre de radio-astronomie sont pointées vers l'univers, je retrouve le vent, et des nuages de plus en plus menaçants. J'accélère donc l'allure et arrive à Mehun-sur-Yèvre en même temps que de grosses gouttes de pluie :

Le poncho est donc extrait de sa petite sacoche de selle, et alors que moulinant sous la cloche je sors de la ville pour rejoindre la vallée du Cher, deux cyclistes à l'allure de coureurs et montures carboniques, réfugiés sous un abri-bus me regardent passer d'un oeil bovin . Un quart d'heure plus tard, après que la pluie ait cessé, mes deux lascars me dépassent tels des fusées dans le chuintement de leurs gommes au calibre de tuyaux de gaz sur l'asphalte mouillé. Je longe maintenant le Cher mais ça ne veut pas dire que la route est plate, c'est même un tantinet casse-pattes. Un petit arrêt au cours duquel je tape dans ma gamelle de plâtrée magique (riz au lait avec cette fois-ci gelée de groseilles et caramel au beurre salé au calva) permet une collation bienvenue .
Je suis donc surpris quand au sommet d'une bosse j'entends sur mes talons les cliquètements carboniques de mes deux fusées de tout à l'heure . Il me dépassent à nouveau dans un mépris princier et lèvent le pied dans la descente. En bas, poids des sacoches aidant, je suis dans leur roue, et cette fois ils semblent vexés car ils se sentent obligés de me placer un démarrage type "boulet de canon" pour entrer dans St-Florent-sur-Cher (non sans se retourner ensuite pour vérifier la distance minimum qui sied entre des formule 1 et un poids-lourd )... Cet épisode me rappelle la fable "Le lièvre et la tortue" de notre bon Jean de la Fontaine et c'est avec ces pensées que j'immortalise Marquise devant l'entrée du château de St-Florent, qui me rappelle un bien agréable week-end vélocipédique (voir http://forum.tontonvelo.com/viewtopic.php?f=3&t=14781 ) :

Je ne suis plus très loin de Lapan, mon étape du jour, où je loge chez des amis lesquels tiennent chambres d'hôtes. Les 111 kms de la journée suffisent pour apprécier une bonne douche et un bon repas dans un cadre agréable, et laissent le temps de papoter comme il se doit.

[Le Monocle]

Quel beau périple ! La péniche que tu a croisé doit approcher le siecle ... La particularité du logement du marinier au centre du chargement est assez ancienne et peu répandue. Il se situe plus couramment a l'arriere du bateau .

[le cyclo]

super balade que tu nous fait partager la prosper , de bien belle image , aller bonne route et a bientot remy.

[andré]

Merci Prosper, narration passionnante et trés jolies photos, j'attend la suite avec impatience...

[dejoulardi]

Bonsoir
Voilà un récit de voyage dans la plus pure tradition « Cyclo ».
Bravo l’artiste.

Dejoulardi

[roulez rouillé]

Oui, manque plus que passer les photos en noir et blanc, et ont y est !
Sinon ton riz au lait avec de la gelée de groseilles et du caramel au beurre salé au calva, dans quelle proportion le calva ?
RR

[thierry.]

salut prosperjunoir

j'aime bien ce genre de post avec les photos qui vont bien, cela me fait rêver

merci à toi de le faire partager et bonne continuation

Thierry

[prosperjunior]

Merci ! Mon récit n'ayant pas l'air de vous ennuyer, vous aurez droit à la suite ...

Troisième jour :

En bon randonneur qui se respecte, je fais plus qu'honneur au petit déjeuner, d'autant que la conversation se prolongeant, il est 10 heures moins le quart lorsque je reprends la route .
Je traverse le Cher peu avant Corquoy dont j'immortalise l'église (vestige d'une ancienne abbaye), simple et rustique, mais superbe :

(comme une randonneuse, quoi ...)

Voulant me ravitailler à Chateauneuf-sur-Cher je fais chou blanc, tous les commerces ayant fermé boutique à l'exception d'une supérette excentrée sur la route opposée à la mienne : tant pis, je verrais plus loin. Le vent venant maintenant du nord-est ce n'est pas la chaleur, mais vu que je me dirige sud-ouest, ça veut aussi dire que je vais pouvoir marcher à la voile (ça sert aussi à ça les sacoches bien rebondies qui garnissent mes surbaissés ...). Malgré le léger relief la chaîne ne quitte pas le pignon de 14, et au gré des ondulations du terrain tient simplement compagnie soit au plateau de 42, soit à celui de 46, histoire de ne vexer personne... Je profite donc de cette bonne allure pour me ravitailler dans un petit village isolé dont la boulangerie-épicerie a survécu. Je casse la croûte à nouveau au bord d'un étang sur une table prévue pour à St-Août, et avant de repartir, fait une incursion au bistrot local histoire de descendre un café et faire remplir mes bidons. Le relief se fait imperceptiblement plus vallonné au fur et à mesure que j'aborde le pays de George Sand, au large de La Châtre. J'ai d'ailleurs prévu une visite au Moulin d'Angibault dont le meunier a été rendu célèbre par un de ses romans :

J'ai de la chance, c'est ouvert pour la saison depuis quelques jours, l'intérieur est aménagé et le moulin fonctionnel. Dans la pièce à vivre où se situe aussi le four à pain, est exposé un vélo de boulanger qui plairait aux tontons, bien qu'il ne soit pas "raccord" avec l'époque de la dame de Nohant :

Lorsque je reprends la route en direction d'Aigurande, à la limite de l'Indre et de la Creuse, c'est pour avoir la sensation de pédaler pour gravir un gentil escalier qui me fait sentir que c'est bien les contreforts du Limousin qui m'accueillent maintenant. Un panneau que je trouve cocasse me fournit un prétexte à un petit arrêt :

Malgré tout, c'est au milieu de l'après-midi que j'arrive chez mes amis à Measnes, au terme de cette étape de 88 kms. Le lendemain leur sera consacré, presque deux ans que je n'étais pas venu, ce sera l'occasion d'une grande balade à pied dans le bocage Creusois...
à suivre pour la dernière étape ...

[Stéphane]

Superbe ! Bravo Jean-François, voilà un beau voyage qui rend heureux ! Merci de nous le faire partager ! Je comprends que tu l'as préparé avec soin. On me dira tout ce qu'on voudra, mais n'importe quelle destination éloignée et exotique vaut, pour moi, bien peu face à un voyage comme le tiens.
Pour le calva, RR a raison, il faudra nous donner les proportions

[Le Monocle]

J'adore les road trip !

[prosperjunior]

Bonsoir,
Merci de votre enthousiasme, ça fait plaisir . C'est un truc tout bête, à la portée de tous : ça s'appelle le cyclotourisme. Pur et dur, mais facile et tellement gratifiant que même une balade en solo on peut la partager .
Bon pour le calva je ne sais pas, c'est un copain breton qui fait du caramel au beurre salé, ce coup là c'était au calva, mais le riz a dû tout pomper car c'était limite fade . En tous cas vous me donnez une idée, le prochain coup, j'en rajouterai !
Pour le cycliste, le riz, c'est comme les nouilles ou la purée, c'est des sucres lents, qu'on peut compléter avec plein de trucs, sucrés ou salés. On en prépare une gamelle avant de partir agrémenté avec ce qu'on a sous la main et zou : dans la sacoche avec une cuiller. Avec ça on est sûr de ne jamais tomber en panne de carburant : balade dominicale ou brevet au long cours, ça marche à tous les coups, foi de Prosper .

[Pol]

Très belle ballade, et très chouette récit. C'est un plaisir de te lire. Tu as fait honneur à la résurrection de ta Marquise!

On attend la suite avec impatience, tu fais durer le suspense.

A+

Pol.

[prosperjunior]

Dernier jour :

Je serais bien resté plus longtemps avec mes amis mais un ciel de plomb arrivant du sud-ouest m'incite à ne pas trop m'attarder. Sachant par expérience que les contreforts de la Marche aiment bien crever les nuages, je préfère m'éclipser avant de me faire saucer.
Cette fois-ci je mets le cap au nord-ouest et descends par de charmantes petites routes en direction de la plaine de la Brenne, région aux mille étangs.
Avant d'y arriver, je retrouve la Bouzanne (à la source proche de mon point de départ) à Prunget, défendu par un massif donjon :

Voulant me raviltailler à Tendu, sur le tracé de l'ancienne Nationale 20 entre Argenton-sur-Creuse et Chateauroux, je ne découvre que la désolation d'un village orphelin de tout commerce. Tant pis, je ne m'attarde pas, les noirs nuages de ce matin me rasant les fesses... Je retrouve la plaine et arrive à une heure intelligente à Luant, lequel abrite une auberge en état de marche qui fait mon affaire. J'ai échappé à la pluie mais le vent n'est pas bien chaud, une pause avec un copieux repas chaud est donc bienvenue. Arrivant avant le coup de feu, je suis servi rapidement ce qui évite de trop se ramollir, et de repartir pendant que tout le monde est à table et donc les routes encore plus désertes.
Traversant l'Indre à Villedieu, je ne tarde pas à rejoindre le tracé de l'ancien chemin de fer du Blanc à Argent, une des dernières voies métriques de France, dont je retrouve à Pellevoisin le terminus sud du tronçon converti en chemin de fer historique et touristique :

Pellevoisin était un lieu de pélerinage et quelques célébrités, dont Georges Bernanos, y sont enterrés.
J'aime bien ce coin du Berry, plus varié que les grandes plaines que l'on rencontre vers Vatan ou Issoudun, et où l'on sent poindre progressivement le val de Loire, comme dans la vallée du Modon :

A Villentrois, dont les vestiges du château trônent encore fièrement, c'est encore plus évident, le tuffeau ayant bel et bien fait son apparition dans les constructions :

Cela sonne la fin de ma promenade, j'arrive peu après à Chatillon-sur-Cher, terme de cette facile étape de 125 kms. Je suis fort bien reçu par les tenanciers de mon gîte, lesquels ont, au temps où leur santé leur permettait encore, écumé les routes de France en tandem. Inutile d'indiquer le sujet de conversation qui agrémente l'apéro : ça cause boutique.
Si des Tontons de passage recherchent un bon point de chute dans le secteur, n'hésitez pas à me faire un MP et je vous communiquerai leurs coordonnées.

Le soir, Madame me rejoint en auto, et le dimanche nous profitons de la pluie pour aller visiter le château de Chenonceaux, et rendre visite à ClaudeGu, auprès de qui j'ai réservé un cadre mixte "Ramel" dont j'hérite à un tarif on ne peut plus "Tonton". Sympa de faire connaissance d'un Tonton de plus, même si c'est un peu rapide. Cela fait oublier qu'il est temps de mettre "Marquise" sur le toit de l'auto et de rentrer, car le lendemain, on bosse .

En résumé, une bien sympathique virée, exempte d'incident (à part la perte d'un cache poussière de pédale Shimano 600ex, si un Tonton a ça qui traîne... ), au cours de laquelle j'ai retrouvé le confort de ma Marquise, son côté "roulant" qui comme seul regret laisse un goût de "pas assez"... Les irréductibles du 650 "randonneur" sauront de quoi je parle...

[Stéphane]

Superbe ! Merci Jean-François ! Cela donne envie de passer à la randonneuse, avec de belles sacoches et la série des cartes Michelin qui va avec... et, hop, en route...

[ian]

Merci de cette tranche de voyage où l'on sent le patient entrainement de la tête et des jambes, fruit de milliers de bornes alignées au long cours ;
Un vrai petit guide .